À l’issue de trois semaines d’auditions, quels sont vos premiers constats ?
Il y a une vraie question de gouvernance, du contrôle que l’État peut faire sur ces organes qui lui sont plus ou moins proches et rattachés. C’est là où je suis assez stupéfaite. Au regard des premières réponses [des ministères], il y a quand même une connaissance très lacunaire du sujet. On est capables de nous dire des noms d’agences, mais pas le nombre de leurs agents. Cela veut dire que ces “trucs” vivent leur vie tout seuls. Cela pose vraiment la question de comment est mise en place la politique publique décidée nationalement, et de qui est responsable.
À lire également : La chasse aux agences de l’État, un miroir aux alouettes budgétaire ?
Il y a aussi le sentiment que le préfet n’est plus le coordinateur de l’État. Il devient un passe-plat. Nous avons posé la question : « Que pensez-vous de la réforme de [la loi] 3DS, qui transforme les préfets en délégués territoriaux de l’Ademe ? » On nous a répondu : « C’est du vent ! »
On entend aussi qu’il y a de plus en plus d’interlocuteurs, une dilution de la responsabilité. Et surtout, il peut y avoir une parole divergente de l’État, par exemple dans des projets d’aménagement. Enfin, jusqu’à présent, nous n’avons rencontré personne qui nous a dit qu’il faut supprimer telle ou telle agence.
Personne ne vous a recommandé de supprimer des agences ? Avez-vous auditionné les « bonnes » personnes ?
Je n’ai pas auditionné Éric Ciotti, si c’est votre question. Ce dossier est instrumentalisé et, clairement, je n’en ai rien à faire de décrédibiliser Éric Ciotti et tous ceux qui ont dit qu’il fallait supprimer des agences pour faire des économies.
Pour vous, il n’y a pas de sujet budgétaire ?
Le potentiel d’économies est relativement faible, très loin des 80 milliards d’euros évoqués. La plupart des crédits des agences sont des crédits d’intervention. Si on supprime ces crédits, en fait on supprime tout ce que font les agences. Le sujet budgétaire correspond à un choix dans les politiques publiques, il y a un peu de coûts de fonctionnement, mais ce n’est pas l’ampleur que tout le monde escompte.
Tout le monde fait l’autruche en disant qu’on va s’occuper des agences et des opérateurs, et que cela va résoudre tous nos problèmes de déficit public. C’est faux, en fait. C’est juste faux. Demain, si vous supprimez l’Ademe, mais que vous gardez les politiques publiques [qu’elle met en œuvre], vous allez faire, en gros, 30 millions d’économies. C’est cela, la réalité des choses.
Le président du Sénat, lui aussi, a mis en cause le poids des agences…
Le président Larcher n’a jamais dit qu’il y avait 400 milliards d’économies à faire en supprimant les agences. Il n’a parlé que de l’Ademe. Cette agence pose un sujet. En tant que rapporteure spéciale du budget, je le constate en matière de gouvernance et d’usage d’argent public.
Il y a l’Ademe, qui est une caisse de distribution, avec le Fonds chaleur ou le Fonds économie circulaire. Là-dessus, il n’y a pas de problème. Après, il y a l’Ademe prescriptrice, qui lance des études que personne n’a décidées, qui fait des recommandations pour savoir combien de fois il faut laver son jean. La tutelle de l’Ademe me dit que c’est un État dans l’État, et c’est cela qui ne va pas.
Quelles pistes envisagez-vous pour améliorer l’efficacité de l’action publique ?
Peut-être y a-t-il d’autres agences où l’on peut s’interroger. Je pense à tout ce qui relève du guichet. L’Agence de services et de paiement [ASP] prend un dossier, regarde s’il y a les bons papiers, vérifie que les cases sont cochées, envoie l’argent… Faut-il qu’elle relève de la sphère publique ? Autre exemple : selon les volets de la PAC auxquels il émarge, un agriculteur percevra sa subvention de l’ASP, une autre fois de FranceAgriMer, ou de la Région, si son aide relève du Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l’aquaculture [Feampa]… Pourquoi ?
Il faudra aussi se poser la question des doublons : quelle est la différence entre l’Agence nationale du sport [ANS] et le ministère des Sports ? Aujourd’hui, je ne sais pas répondre. L’ANS fait tellement tout qu’elle finit par faire à la place du ministère. On s’éloigne de notre sphère, mais certains ministres n’ont en fait aucun pouvoir. La politique publique dont ils ont la charge est dans la main des partenaires sociaux. En matière de famille, par exemple, la Cnaf [Caisse nationale des allocations familiales] est gérée par les partenaires sociaux. Que reste-t-il à ce ministère ?
Vos travaux porteront également sur cette thématique ?
Il a fallu déterminer un périmètre pour nos travaux, de façon que ça ne parte pas dans tous les sens. Ce qui est du ressort des partenaires sociaux, on n’y touchera pas. C’est de l’argent public, il s’agit des cotisations des travailleurs, mais il n’y a pas d’impact budgétaire immédiat.
Nous avons retiré tout ce qui relève de la recherche – CNRS, CEA [Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives], Inrae – et des universités. Sauf à diminuer le nombre de chercheurs et à remettre en cause la recherche, ce qui n’est pas notre objectif, il n’y a pas de marge de manœuvre budgétaire.
L’appel à la rationalisation est généralisé, mais suivi de peu de propositions concrètes. Partagez-vous ce constat ?
Franchement, j’ai un peu le même sentiment que vous. Tout le monde est prêt à hurler, mais quand on est face aux gens et qu’on doit leur poser des questions, on reste un peu sur notre faim. Nous avons auditionné les associations d’élus. Et il n’en ressort, concrètement, rien. Par exemple, quand nous avons demandé aux Régions à quel moment leur action doublonnait le travail des agences, personne n’a vraiment donné d’exemple.
Après, il y a aussi la question du ressenti. Quelqu’un m’a dit que c’était plus simple avant. Mais plus simple sur la forme, parce qu’il y avait moins d’interlocuteurs ? Ou sur le fond, parce qu’il y avait moins de normes à respecter ? Cette personne a reconnu que c’était davantage le fond qui posait problème. Mais les agences, c’est la forme. Le fond restera toujours, quelle que soit la personne qui met en place la politique publique.