« Là, je m’adresse à l’expert. » Maxime Amblard, député RN de la Meuse élu en 2024, savoure le compliment de son ancien patron. Ce 30 avril 2025, le jeune ingénieur passé par Framatome (où il était élu CFDT) vient d’interroger Bernard Fontana, alors directeur général de l’entreprise et auditionné en vue de prendre la tête d’EDF, sur la possibilité pour l’électricien de plancher sur un réacteur moins puissant que les EPR2. Une question en apparence plus technique que politique, relevant presque du débat d’initiés, qui lui vaut une première – et rare – reconnaissance publique par une figure du secteur de l’énergie.
Quelques semaines plus tard, l’élu du Rassemblement national est invité à présenter la vision de son parti sur la politique énergétique devant le think tank Équilibre des énergies, dont sont membres EDF, RTE ou encore TotalEnergies. C’est de nouveau le cas en septembre, lors du colloque annuel du Syndicat des énergies renouvelables. Une première pour son parti.
Autant de signes d’une – très – relative normalisation des relations entre le RN et le secteur de l’énergie, qui restent tout de même loin de toujours parler la même langue. Au point que tous les acteurs interrogés pour cette enquête ont préféré l’anonymat pour évoquer leur rapport avec le parti d’extrême droite, témoignant de son caractère encore à part dans le paysage politique français.
Clé de voûte
Depuis la crise énergétique et la présidentielle de 2022, le Rassemblement national a fait de l’énergie la pierre angulaire de sa politique sociale et industrielle. En témoignent sa volonté de « refaire de la France un paradis énergétique », déclinée dans sa feuille de route appelée « plan Marie-Curie » (relire notre article), et le capital politique investi par le RN, qui a menacé régulièrement de censurer le gouvernement sur des enjeux de programmation énergétique ou de prix.
« Le RN s’est beaucoup exprimé sur l’énergie depuis 2021 et la crise de 2022 […], ce qui est une manière très commode de faire oublier leur ambiguïté vis-à-vis de la Russie à l’époque. Et ils ont bien compris que c’était le nerf de la guerre de la politique industrielle et de la compétitivité », témoigne un observateur du secteur. L’énergie « permet de taper sur le gouvernement actuel […] et de soutenir leur discours de souveraineté sur le nucléaire », avance une source issue du secteur et très critique du programme du RN.
Selon une troisième source ayant, elle, une vision macro de l’énergie, le RN « développe une sorte d’écologie de classe », fustige « les bobos de gauche et leurs “dépenses inconsidérées” » dans les renouvelables et défend un supposé « retour à la raison ». « C’est cliché mais ça marche très bien » et c’est d’autant plus difficile à contrer, selon cette source, que « la transition coûte cher », qu’elle n’a pas encore porté ses fruits et que la crise de 2022 n’a pas été anticipée par les pouvoirs publics.
Ce discours séduit aussi bien « les retraités du nucléaire », les « jeunes ingénieurs frustrés de la politique par le pourrissement de la filière nucléaire provoqué par l’absence de décision » ou « l’électorat conservateur anti-éolien », notent plusieurs sources. Deux d’entre elles affirment que « la ligne antimarché et antilibéralisation » fonctionne au sein des unions locales CGT des centrales nucléaires.
Opération crédibilité
Au-delà, cela s’avère plus délicat. Selon la première source citée, les cadres du parti sont conscients que « leur positionnement ne rend pas si simple que ça de trouver des relais ». Avec, d’un côté, des « grands groupes soucieux de leur respectabilité, ou avec une forte représentativité syndicale et où les positions du RN ne sont pas faciles à porter ». Et, de l’autre, de petits acteurs des renouvelables, de la fourniture d’énergies et des certificats d’économies d’énergie, qui ne « sont pas du tout la clientèle électorale du RN et ont des intérêts existentiels opposés ».
Mais « mieux comprendre l’écosystème et parler à tout le monde pour mieux se positionner en 2027 est clé pour le RN, car ils savent qu’ils peuvent se décrédibiliser », conclut la même source.
Pour preuve, les avis sévères qu’inspire le plan Marie-Curie. « Il ne survit pas à l’épreuve du droit européen et français, ainsi qu’à la faisabilité industrielle et financière », tranche un ingénieur, tandis qu’un cadre du secteur juge qu’il conduira à un « recours accru au gaz et au pétrole » et à un inévitable « abandon de souveraineté ».
« Ces gens qui ont mille excuses pour ne rien faire, rien proposer, qui se contentent de réacteurs à 20 milliards d’euros pièce construits en quinze ans, je n’ai rien à faire de leur expertise à la noix », réplique Jean-Philippe Tanguy, député RN en pointe sur les sujets énergie.
It takes two to tango
Ainsi les acteurs de l’énergie et le Rassemblement national se tournent autour, essayant, à défaut de s’entendre, de se comprendre, de s’apprivoiser. « Les énergéticiens ont tous vu le RN, que ce soit à la demande du RN ou à la leur. […] Il y a six ans, il y avait de vrais débats sur le fait de parler au RN ou non », expose une lobbyiste.
« Aujourd’hui, ce débat n’existe plus, c’est juste que tout le monde se planque. Il n’y a pas le choix : si vous voulez protéger votre business, vous devez leur parler. »
Pour beaucoup, il s’agit de faire de la pédagogie ou du « damage control » (limiter les dégâts), mais « d’autres préparent 2027 », analyse un témoin, sans aller plus loin.
« Plus la perspective de notre arrivée au pouvoir se rapproche, plus nous avons de contacts de haut niveau », assure Jean-Philippe Tanguy, sans citer d’exemple.
Outre ce dernier et Maxime Amblard, le député Alexandre Loubet, qui a fait ses armes avec Jean-Philippe Tanguy auprès de Nicolas Dupont-Aignan, complète le dispositif « énergie » du RN. Jean-Philippe Tanguy reste « en lead » sur le sujet, explique-t-il à Contexte, jugeant que le programme est désormais « mature ».
Technicité radicale
Pour une source issue de l’industrie, il ne fait « aucun doute que le RN essaie de gagner en légitimité en étant plus technique ». « Ça nous fait plaisir d’écouter un député qui s’y connaît et se passionne. […] Maintenant, les positions du RN sont extrêmement tranchées », a conclu l’ancien ministre Brice Lalonde, alors président d’Équilibre des énergies, à l’issue de son entretien avec Maxime Amblard.
« Il y a une volonté du RN de proposer quelque chose qui tienne debout […] mais ils n’ont pas atteint le niveau technique », estime un observateur cité précédemment.
La source venue du nucléaire a été « frappée par la vision d’ingénieur en sortie d’école » de Maxime Amblard, qui est « bon en ingénierie nucléaire […] mais voit les sujets économiques et juridiques comme une sorte d’arnaque et n’a rien compris à la hiérarchie des normes ». Une posture revendiquée par l’intéressé sur les bancs de l’Assemblée nationale (voir ici, ici ou là), où il fait des lois de la physique l’alpha et l’oméga de sa politique.
« On n’a pas grand-chose à se dire avec Amblard », poursuit la source dans le nucléaire. « Quand tu as des avis différents mais une compréhension commune du système énergétique, tu peux échanger. Mais là, c’est comme parler de vaccins avec quelqu’un qui pense que ça injecte des micropuces dans le cerveau. »
« Il est encore en rodage de la politique grand public. Je lui dis que la politique n’est pas le monde de l’expertise, et en même temps, je l’ai fait venir pour ça », le défend son « ami » Jean-Philippe Tanguy. Sollicitée, l’équipe de Maxime Amblard a indiqué ne pas avoir le temps de répondre en raison des discussions budgétaires. L’acteur industriel précédemment cité lui reconnaît un « incontestable potentiel » et une capacité à raisonner en coûts complets du système, en sus de ses compétences sur le nucléaire.
Quatrième homme
Dans l’ombre des trois députés les plus en vue, un quatrième homme multiplie les prises de contact avec le monde de l’énergie : Ambroise de Rancourt, directeur de cabinet de Marine Le Pen depuis moins d’un an (son portrait par Marianne), énarque politisé sur le tard, passé par LFI avant de se rapprocher du RN à la fin des années 2010.
Trois sources l’ayant rencontré décrivent quelqu’un de « brillant », véritable cerveau derrière la construction du programme de gouvernement du parti.
« Il juge beaucoup à l’emporte-pièce », estime une source, mais « a bossé, a une culture politique, et est malin ». Le même raconte être sorti « terrifié » de sa discussion avec Ambroise de Rancourt, et de la « profonde cohérence idéologique [de l’entourage de Marine Le Pen], convaincu que l’économie de marché est dépassée, que le politique doit prescrire des prix et des volumes d’énergie, décidant de qui vit et meurt sur le marché ».
Notre source dans l’industrie encense, elle, un conseiller « extrêmement bien câblé, très rationnel et analytique. S’il est aussi au fait des autres sujets que de l’énergie, il jouera un rôle de premier ordre ».
Et Henri Proglio, dans tout ça ?
Plusieurs sources estiment qu’Henri Proglio, ancien dirigeant de Veolia et d’EDF tenant un discours proche de celui du RN sur l’énergie et s’étant affiché avec Marine Le Pen, cherche à se placer auprès du parti en vue de la présidentielle de 2027. « Le petit milieu parisien crée une légende, car pendant longtemps c’était le seul patron qui assumait de voir le RN », balaie Jean-Philippe Tanguy.« Tous les PDG les plus connus, ont eu comme moi des contacts avec Marine Le Pen, mais sans le dire. Dans ce domaine, il n’y a que de l’hypocrisie », s’est défendu l’intéressé auprès du journaliste Laurent Mauduit (« Collaborations. Enquête sur l’extrême droite et les milieux d’affaires », éditions La Découverte, 2025).
Le média russe indépendant The Insider a récemment levé le voile sur ses affaires en Russie, notamment dans l’énergie.
 
                 
        
       
  