En ces temps de remaniements gouvernementaux chroniques et de menaces de dissolution permanentes, une angoisse nouvelle a gagné la classe politique : celle de l’après perte de mandat, de l’après « gueule de bois ». Contraints de penser à leur reconversion plus rapidement qu’avant, ex-ministres et députés battus peuvent trouver à se recycler dans les affaires publiques. C’est le cas de l’ex-ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini, qui a rejoint le cabinet Topics, en mai 2025, ou de son homologue au ministère du travail, Olivier Dussopt, qui a créé sa société de conseil Semper Cives et collabore avec plusieurs grands cabinets parisiens. Ex-député Renaissance de la Loire (2022-2024), Quentin Bataillon a été recruté chez Havas pour travailler sur les affaires publiques européennes.
Sur leur CV, l’épaisseur du carnet d’adresses est loin de constituer l’atout principal. « La question du réseau, c’est un mythe » ; assure Sacha Benhamou, fondateur de Lumen Influence. Une « aide » tout au plus, confirment plusieurs lobbyistes.
Les carnets d’adresses se périment de plus en plus rapidement : « Les membres de cabinets [ministériels], c’est un turn-over terrible et les ministres durent un semestre maintenant », soupire Gilles Savary, ex-député de Gironde, reconverti dans les affaires publiques.
Conserver de solides connexions dans la sphère publique reste néanmoins un actif important, nuance Tiphaine Mercier, directrice associée et directrice de l’offre affaires publiques d’Havas Paris : « Avant, on avait notre réseau à droite et notre réseau à gauche, ça suffisait. Aujourd’hui notre devoir c’est de parler à tout le monde, il faut davantage le diversifier. »
Les politiques ont du « flair »
Les atouts recherchés chez les politiques tiennent davantage à leur expérience. “Là où [ils] sont précieux, c’est dans leur ingénierie de la décision publique”, poursuit Gilles Savary, notamment dans leur connaissance de la procédure parlementaire. Leur « technicité » – s’ils en ont acquis une sur des sujets particuliers – est également demandée. « On vient me chercher sur des sujets ferroviaires, concernant la sécurité dans les transports, raconte l’ancien rapporteur d’une proposition de loi sur la lutte contre les incivilités et la prévention des actes terroristes dans les transports. C’est sans doute parce que je me suis spécialisé dans un domaine très technique et peu prisé des élus que ma reconversion est si durable », ajoute-t-il.
Ex-député Renaissance et désormais consultant en affaires publiques, Jean-Baptiste Moreau n’a pas eu de mal à vendre ses services sur des thématiques (agriculture, santé entre autres) sur lesquelles il est identifié : « Le cabinet pour lequel je travaille [RPP Group, ndlr] est venu me chercher. Quand j’étais député, on avait écrit un livre blanc ensemble, sur le principe du One Health. »
Les anciens élus sont aussi appréciés pour leur capacité à décrypter la sensibilité de leurs interlocuteurs politiques et l’écosystème dans lequel ils se placent. Ils savent « comment il faut s’adresser à eux, c’est comme un commercial », explique Sacha Benhamou. « C’est la touche irrationnelle, le flair politique », glisse Gilles Savary.
C’est ce même « sens politique » qui leur permet de conseiller à un client un calendrier d’action.
« Quand vous avez été élu, vous pouvez anticiper comment une décision sera perçue dans l’opinion ou auprès des salariés [d’une entreprise]. Ça ne s’apprend pas à l’école. En politique, on en fait l’expérience tous les jours », raconte l’ex-députée macroniste de l’Hérault Coralie Dubost, désormais conseillère chez Next Step Influence.
Reste que tous les élus n’ont pas le même nombre d’étoiles dans les standards des cabinets d’affaires publiques. « Un ministre a plus d’atouts à faire valoir, estime Samuel Le Goff, directeur conseil chez CommStrat, ancien salarié de Contexte. Il a été à un poste exécutif, il connaît ses sujets, il a l’habitude de diriger, d’arbitrer. Il a une visibilité et un carnet d’adresses autrement plus important qu’un député. »
À l’écouter, le vrai sujet d’inquiétude concernerait la reconversion des députés. Leur cote s’émousse depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, confient plusieurs professionnels du conseil, au point que certains cabinets rechignent désormais à les embaucher.
La vague 2017 moins courtisée
Plusieurs acteurs du secteur et d’anciens élus eux-mêmes le reconnaissent, la classe politique – et en particulier les primo députés de la vague macroniste de 2017 – est jugée moins professionnelle, moins compétente qu’à une époque où il fallait avoir monté tous les échelons de l’appareil syndical ou politique pour être élu.
« Avant 2017, les politiques faisaient carrière, ils avaient des liens de longue date avec les administrations, avec les milieux économiques, ils n’étaient pas déconnectés », estime Samuel Le Goff.
Les politiques sont désormais concurrencés par de jeunes lobbyistes dont le métier s’est professionnalisé. « Entre un junior qu’on paye deux fois moins cher et un ancien député, il y a un arbitrage économique », poursuit le directeur conseil de CommStrat.
Les élus traînent aussi la mauvaise image du pantouflage comme un boulet au pied. « En quinze ans, le regard a changé. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est arrivée. Recruter des politiques peut être sujet à critiques. Aujourd’hui, une grande boîte ne peut plus s’exposer à ce risque d’image », analyse Samuel Le Goff. Les entreprises elles-mêmes ont peur de ces allers-retours public-privé, d’embaucher « un ancien élu qui n’aurait pas tourné la page de la politique et qui voudrait y retourner », complète Coralie Dubost.
Entreprises et cabinets craignent davantage encore qu’un politique soit « ingérable », explique l’ex-député Renaissance de la Creuse Jean-Baptiste Moreau. Il pourrait avoir gardé une certaine « liberté de ton », une tendance « à faire de la politique en interne », souligne Coralie Dubost. « Un certain nombre d’élus ne savent pas comment fonctionne une entreprise, ils sont habitués à s’organiser comme ils le veulent, ils ont du mal à s’adapter aux directives, aux horaires », appuie Samuel Le Goff. Qui tranche : « Ils se fourvoient sur ce qu’ils valent. »